1/ Note introductive Au cours de la récente bataille électorale, le tribun du Front de Gauche, Jean-Luc Mélenchon s'est également référé à l'appel de Mikis Theodorakis, publié notamment aussi par l'hebdomadaire Marianne. Suite à cela, l'UMP s'est ruée sur la référence au compositeur grec et a ressorti les vieilles accusations perfides sur son prétendu antisémitisme sorties à partir de 2003 et reprises de plus belle en 2011 sur un lapsus de Theodorakis, âgé de près de 87 ans, lors d'une émission télévisée, au cours de laquelle il a dit "antisémite" au lieu de "antiraciste". Impardonnable dans l'optique de tous ceux qui vouent une haine farouche à cet homme qui, encore fin 2010, a fondé le mouvement "Spitha" (L'Etincelle) pour réunir autour de lui tous ceux qui n'étaient pas prêts à accepter le diktat de la troïka (Commission européenne, FMI et Banque centrale européenne), l'appauvrissement désespérant des citoyens du pays et l'humiliation des Hellènes (en particulier par l'Allemagne). Quelques échantillons de leurs élucubrations: Marine Le Pen: "Et l'hommage rendu par l'extrême gauche que vous appréciez à M. Theodorakis qui expliquait qu'il était antisémite et antisioniste etc. ça ne vous gêne pas, vous pouvez poser la même question à Mélenchon?" Jean-François Copé: .. Jean-Luc Mélenchon dont l'un des grands amis est Mikis Theodorakis, qui professe ouvertement des propos antisionistes, antisémites, dans des termes extrêmement choquants." Christian Estrosi cite à propos de Mélenchon sa rencontre avec Theodorakis "qui est un antisémite grec notoire". Notons qu'une rencontre entre les deux hommes n'a jamais eu lieu. Nathalie Kosciusko-Morizet: "En s'associant [...] avec Jean-Luc Mélenchon qui accueille sur son site internet des gens qui font profession d'antisémitisme... Monsieur Pujadas, est-ce que l'antisémitisme de gauche, c'est mieux que l'antisémitisme de droite?" Alain Juppé: "Il (Jean-Luc Mélenchon) entretient des relations sulfureuses avec des gens qui prônent l'antisémitisme. – A qui pensez vous? – Mikis Theodorakis, pour ne pas le citer. Ce chanteur (sic!) grec pour lequel j'ai eu dans le passé beaucoup d'admiration, et qui affiche aujourd'hui sa foi antisémite. C'est un copain de Jean Luc Mélenchon." Dans un premier temps, le camp de Mélenchon, par la voix d'Alexis Corbière, a eu une réponse aussi évidente qu'explicite: "Dans son argumentaire, l'UMP cite les déclarations de Theodorakis de 2003 en laissant entendre qu'elles étaient connues de tous. Dans ce cas, pourquoi le même Theodorakis, s'il est un antisémite notoire, a-t-il été décoré de la légion d'honneur en 2007 par Renaud Donnedieu de Vabres?" Hélas, entre-temps le webmestre de Mélenchon a fait lui aussi marche arrière et a décidé de retirer la référence de ce blog! Pour rétablir la vérité que faire de mieux que de donner la parole au concerné lui-même? 2/ La déclaration de Theodorakis Je suis Grec et fier de l’être, car nous sommes le seul peuple en Europe qui, pendant l’occupation allemande (1941-1944), non seulement n’a pas exercé de poursuites contre les Juifs, mais, au contraire, les a aidés à vivre et à survivre avec tous les moyens dont nous disposions. A l’époque, j’étais moi-même partisan de l’Armée populaire de Libération, et je me souviens que nous avions pris sous notre protection de nombreuses familles de Juifs grecs, que nous nous sommes souvent battus contre les SS pour les sauver et que beaucoup d’entre nous l’ont payé de leur vie. Plus tard, j’ai composé le cycle Mauthausen que, notamment en Israël, l’on considère quasiment comme un hymne national. J’ai ressenti une des plus grandes émotions de ma vie quand, dans les années 80, il m’a été accordé de diriger cette œuvre sur le site du camp de concentration de Mauthausen, tout d’abord chantée en grec par sa première interprète, Maria Farantouri, puis en allemand par Gisela May et en hébreu par la chanteuse israélienne, Elinoar Moav. Je l’ai dirigée une fois encore sur ces lieux et, depuis lors, l’œuvre enregistrée est diffusée sans interruption sur le site du camp. En 1972, j’ai bravé le boycottage européen et j’ai donné des dizaines de concerts en Israël, des moments que je qualifierais d’historiques en raison des liens d’amour mutuel qui nous unissaient. A cette même époque, Yigal Allon, alors Vice-Premier ministre du gouvernement israélien et Ministre de l’Éducation et de la Culture, m’a confié une première mission, celle de transmettre un message de paix à Arafat au nom de son gouvernement. C’est dans cette intention que j’ai rencontré celui-ci à Beyrouth et, à cette occasion, j’ai donné une conférence de presse dans une salle. Un groupe de fanatiques Palestiniens avait décidé de m’abattre, car il me considérait comme un complice des Juifs. C’est Arafat lui-même qui me l’a dit le lendemain avec, à ses côtés… le groupe de mes assassins en puissance. Qu’est-ce qui m’a sauvé? Mon amour authentique pour les deux peuples martyrs: les Juifs et les Palestiniens. "Quand on t’a entendu pendant la conférence de presse, m’ont-ils dit, on a compris que nous nous trompions". Qu’est-ce que j’avais dit au cours de la conférence de presse? "Le conflit qui vous oppose ne sera pas résolu par les armes, mais par la compréhension mutuelle. De l’autre côté, il y a des hommes ordinaires qui vous ressemblent, simples et travailleurs, capables d’aimer et qui, comme vous, aiment leur famille et leur pays. C’est eux que vous devez trouver, parce que c’est avec eux que vous pourrez vivre dans la paix". Arafat m’a dit: "Tu as chanté les Juifs et tu as eu raison, car eux aussi sont un peuple tourmenté. Comme nous. Alors, s’il te plaît, écris une chanson pour nous aussi…". C’est ainsi que j’ai écrit également un chant pour le peuple palestinien qui est devenu son Hymne national. Bien plus tard, à l’occasion de la remise du prix Nobel de la Paix à Rabin et Peres (Israël) de même qu'à Arafat (Palestine), l’orchestre symphonique d’Oslo avec, en soliste, l’interprète finlandaise Arja Saijonmaa a joué Mauthausen en hommage à Israël et le chant que j’avais composé, reconnu comme Hymne National, en l’honneur du peuple palestinien. Ce moment symbolique suffit à démontrer la place que j’occupe dans l’esprit et dans les cœurs des deux peuples. Je suis souvent allé en Israël, en Palestine et au Liban, et c’était chaque fois la paix, l’amitié, la coexistence et la coopération entre ces deux peuples martyrs qui occupaient mes pensées. En tant que Grec, je me sens proche d’eux, comme si nous appartenions à la même famille. Et pourtant, pour certains fanatiques d’un côté comme de l’autre, je suis la cape rouge agitée devant le taureau. Pourquoi? Parce que j’ai la franchise et le courage de dire la vérité et de la dire même dans la gueule du loup. Ainsi, quand je suis en Palestine je m’exprime ouvertement et publiquement contre les fanatiques qui me haïssent et, quand je suis en Israël, je fais de même en critiquant tout aussi ouvertement et publiquement les fanatiques qui, en raison de la diaspora juive présente dans tous les pays du monde, ont la possibilité de transformer leur haine en venin et en mensonges monstrueux. Dans mon opéra Les Métamorphoses de Dionysos (dont j’ai écrit aussi le livret), il y a une scène où des Juifs sont déportés par des SS dans les camps d’extermination. Il s’agit d’un moment crucial de l’œuvre, d’une condamnation du Nazisme qui dévoile d’une façon très humaine, l’affliction psychique et intellectuelle que je ressens devant les souffrances des Juifs. D’ailleurs, la dénonciation du racisme et la défense de ses victimes ont guidé mes décisions et mes actes tout au long de ma vie. Une vie jalonnée de poursuites qui m’ont souvent précipité jusqu’au seuil de la mort. Donc, me qualifier de raciste et d’antisémite n’est pas une simple calomnie, mais l’expression de la pire bassesse morale, issue le plus souvent de cercles proches d’organisations et d’individus opérant dans la mouvance du Néonazisme et auxquels la crise a permis de relever la tête pour nous menacer et – incroyable, mais vrai – de nous accuser, eux, d’…antisémitisme, en utilisant un arsenal de mensonges et de déclarations insidieuses! Il suffit de dire, par erreur manifeste, dans une interview de trois heures "antisémite" au lieu de "antiraciste", et l'on s’empare d’une seule et unique phrase dont on isole un mot, brandi comme un étendard, tout simplement pour servir l’intention de m’incriminer. Combien d’années était-on aux aguets pour une simple erreur? Le mot "antisémite" correspond-il vraiment à ce qui suit? "J’aime le peuple juif avec lequel nous avons vécu et souffert en Grèce pendant des années et je hais l’antisémitisme". Je suppose que mes différents ennemis se sont bien gardés de citer ces paroles. Et pourtant, c’est EXACTEMENT la phrase qui suit. Ce n’est pas quelque chose que je viens d’inventer, après-coup, en guise d’alibi. Il en EST ainsi et il est facile de le prouver de façon incontestable en écoutant TOUTE la phrase, exactement comme je l’ai prononcée, et non pas en la tronquant comme l’ont voulu mes adversaires. Peut-être va-t-on se demander pourquoi et comment certains persistent à vouloir discréditer un ami si fidèle d’Israël et des Juifs et tentent de me faire passer à tout prix pour un antisémite. (De qui parle-t-on? De quelqu’un qui a connu les sous-sols de la Gestapo pour les sauver!)… Toutefois, la réponse est finalement simple: beaucoup de mes amis juifs sont d’accord avec moi. Certains le sont, - même s’ils vivent en Israël, donc dans la tourmente quotidienne des événements. Alors, si les simples citoyens du peuple d’Israël entendent mes idées, telles qu’elles sont réellement exprimées, ils "risqueraient" (selon mes ennemis, bien sûr) d’être d’accord avec moi, en pensant que la solution du problème ne se trouve pas dans la violence et les armes, mais dans la coexistence et la paix. Ce qui ne plaît pas du tout à mes adversaires car, bien sûr, j’ai – à plusieurs reprises – totalement désapprouvé la politique de l’État d’Israël et j’ai exprimé ce désaccord avec force et de la façon la plus claire et la plus catégorique (comme je fais toujours). Pour ne pas courir le risque que ces citoyens se rangent à mes opinions, ils ne doivent pas les entendre. Et quelle est la meilleure et la plus sûre façon de procéder pour arriver à ses fins? Eh bien, la tactique habituelle: me coller "l’étiquette" d’antisémite, de sorte qu’aucun Juif, où qu’il se trouve, ne veuille plus entendre non seulement mes idées, mais même mon nom. Et maintenant, particulièrement en France où brusquement on "s’est souvenu" d’une interview donnée il y a environ un an et demi, il existe - de toute évidence - une autre raison: porter atteinte à la Gauche. Leur prétendu "argument" (qui est totalement mensonger) est que son leader, M. Mélenchon me connaît et que, par conséquent… il a des amis antisémites! Toutefois, la vérité – malheureusement pour eux – est évidente, et je pense que tout homme animé de bonnes intentions peut s’en rendre compte. Donc, même si après la lecture de ce qui précède, certains persistent encore à me faire passer pour quelqu’un que je n’ai jamais été et que, bien sûr, je ne suis pas, le doute n’est plus permis. Tout est fait sciemment pour servir d’autres finalités, car ma foi inébranlable dans la paix et la coexistence de ces deux peuples martyrs dérange plus d’un. Athènes, le 15 juin 2012 [Traduit du grec par Arlette Manoli - Commentaire introductif par Guy Wagner] |